Longtemps je me suis couchée avec la superstition au cœur : parler d’un livre qui n’est pas encore publié, voire pas encore écrit, ne pourrait que porter malheur. Comme passer sous une échelle quand le gars qui y est perché lâche un marteau au moment où vous passez. Quoique n’en parler qu’après sa sortie, en en faisant la promotion, ne garantit pas le succès. Alors je m’abandonne au flux de mon actualité.
Jamais encore je ne
m’étais spécialement rendue sur les lieux d’un roman en gestation. C’est
évident pour Poussière de sable, ma
saga de science-fiction, mon premier essai romanesque. Je n’ai jamais quitté la
galaxie, mais me suis dotée d’une solide documentation scientifique.
Essai non transformé
qui m’a valu une rafale de lettres de refus de la part des éditeurs. J’ai alors
décidé de changer mon fusil d’épaule en sublimant cet échec. En imaginant Diabolo pacte, je suis sagement restée sur
le plancher des vaches. J’ai pris principalement pour décor Laon, préfecture de
l’Aisne, où j’ai travaillé trois années durant. Si j’ai pu un temps me rallier
à l’avis de Claude Lévi-Strauss et de Simone de Beauvoir qui s’y sont, des
décennies avant moi, royalement ennuyés, j’ai fini par apprécier le charme
d’une campagne verdoyante couverte de forêts à même d’égarer le plus dégourdi
des petits Poucets. La vie n’étant pas forcément un conte de fées il n’y a pas
de miracle en la matière : si c’est vert c’est que c’est copieusement
arrosé. En effet, il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne pleuve.
La preuve par le livre :
La veuve Gougeard jouissait depuis son
trois-pièces au cinquième étage d’une vue imprenable sur la cathédrale de Laon
dressée sur la ville haute. Par temps clair elle pouvait détailler les vaches
et les gargouilles sculptées dans la pierre de taille mais elle ne les
regardait plus. D’abord elle ne mettait jamais les pieds sur son balcon parce
qu’à Laon il pleuvait six jours sur sept et aussi le dimanche, et puis elle
aurait bien troqué contre un paysage de tôles ondulées ce point de vue sur la
cathédrale gothique qui faisait grimper ses impôts locaux à des hauteurs
himalayennes.
J’ai sillonné le
département dans le cadre de mon travail, mais aussi à vélo et à pied. Certes,
le soleil me manquait, mais je savais apprécier la beauté de paysages qui
devait beaucoup à la profusion de verdure et à la majesté des chênes et des
hêtres. J’ai découvert avec émotion les champs plantés de croix blanches au
pied desquelles croissaient des colonies de champignons des prés.
Avec le Breton, j’ai
sillonné la campagne picarde à bord de notre 4L bleu ciel. C’est avec ses yeux
que j’ai redécouvert les pâtures saturées de jonquilles et les parterres de
tulipes à l’entrée des villages. Avec le Breton, j’ai tremblé sur les horreurs
de la Grande Guerre, déchiffrant sur les pancartes des noms de lieux célèbres
qui n’auraient jamais dû dépasser les bornes du département : Craonne, le
chemin des Dames. Il ramassait dans les immenses cimetières militaires des
brassées de champignons aussi blancs que les croix au pied desquelles ils
poussaient. Le soir, je les faisais frire à la poêle.
Parmi les personnages
principaux de Diabolo pacte, deux
viennent de Laon et montent à la capitale pour être publiés par les éditions
1515, sise dans le XVème arrondissement de Paris : Josette
Gougeard et Antoine Maurier.
Mais Paris est une
autre paire de manche pour la Toulousaine que je suis. Et puis le dlog quêtant hebdomadairement sa
pitance, il n’est pas opportun de le rassasier d’un coup.
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