Si ma mère me tenait grand ouvertes les portes de l’étrange et de l’invisible, mon père quant à lui se gaussait littéralement de l’ésotérisme. Il disait de sa belle-mère que si elle avait vécu 5 siècles auparavant elle aurait fini sur le bûcher comme sorcière. Ce qui est paradoxal c’est qu’en tant que sculpteur-peintre, il produisait des œuvres s’apparentant au réalisme fantastique. J’ai d’ailleurs adressé aux éditeurs des manuscrits avec, pour illustration, l’une de ses tableaux.
Un seul coup d’œil
suffit pour saisir ce que mon père m’a apporté. Je pense que j’écris comme il
peignait : en enrobant de fantastique les contours du réel, si ce n’est
que je puise dans les mots les couleurs et les formes qui façonnent mes mondes
imaginaires.
Papa m’a donné un seul
conseil pour les rédactions hebdomadaires qu’on commandait aux écoliers sur des
sujets du style narrer une journée de vacances, une dispute, etc. Il me
martelait : il faut mentir, ce qui voulait dire qu’il fallait éviter de raconter
sa vie, mais tout inventer.
Je me suis mise à habiter
des villas et des châteaux alors que nous logions dans un clapier, à avoir des
loisirs que mes parents n’auraient jamais pu m’offrir, comme l’équitation et la
plongée sous-marine. Mon père jubilait de voir ses conseils approuvés par les
bulletins scolaires. Il faut mentir, mentir, répétait-il.
En tant que romancière, je pense avoir largement dépassé ses espérances.
Manuel Candat |
Manuel Candat, Sortilèges, 1979 |