Drôle d’émotion qui m’étreint à la veille de la parution du recueil de mes poèmes de jeunesse, Mon opium est dans mon cœur. Pour une fois, je parle de moi, et pas entre les lignes comme on peut imaginer que ça peut se passer dans mes romans, mais en vers souvent écrits à la première personne. Voilà qui met en jeu un sentiment quelque peu dérangeant : la pudeur.
Longtemps,
je me suis refusé à parler de moi : le sujet ne m’intéressait pas. Je
préférais en rire derrière les facéties d’une Josette Gougeard ou d’un Garin
Bressol. Diabolo pacte : un
traitement de cheval contre mes insuccès éditoriaux et qui m’ouvrit la porte de
l’édition.
Puis,
tout en me démenant pour me faire publier, j’écrivais des nouvelles, bêtes à
concours censées m’ouvrir des portes. Si aucune, parmi celles que je lançai
dans la course, ne fut primée, leur recueil est paru aux éditions Auzas.
Parmi
ces dix histoires, toutes inspirées du réel, il en est deux purement
autobiographiques. La première, Vue
courte et pattes d’eph, remonte au temps d’avant mes velléités de
publications. Le genre romanesque demeurait encore à mes yeux une épreuve
insurmontable. Autant dire que ce récit est un acte purement gratuit, destiné à
ne pas être lu. J’y confie mes désarrois de binoclarde à laquelle le port de
prothèses oculaires infligea une blessure narcissique déterminante. Au moment
où je l’écrivais, les lunettes étaient encore loin de se métamorphoser en
accessoire de mode. On ignorait encore que les générations suivantes
produiraient de plus en plus de miros. J’ai dû en transformer l’entame afin de
l’adapter à l’actualité.
La
deuxième, Le bonnet d’Anne d’Agnès B.,
est directement inspirée de mon vécu. En qualité de témoin quand le père
Montariol, notre professeur principal de français-latin, inflige une gifle
magistrale à deux garçons surpris à se battre, perchés sur les tables, à coups
de tendeurs à vélos.
En
qualité d’héroïne principale quand Agnès B. raconte son année de cours
élémentaire 2ème année tout au long de laquelle elle subit l’acharnement
d’une institutrice, madame P., dont elle devint très vite la tête de turc. Le
terme juridique n’avait pas encore été inventé. Aujourd’hui on parlerait de harcèlement. Je retranscris à la
troisième personne le déroulement et les détails de mon calvaire quotidien, propos
humiliants, coup de règle sur la joue etc., peur au ventre, sentiment
d’impuissance, mais aussi la rage de résister au point de remporter une
victoire éclatante.
Bien
plus tard quand, dans ma vie professionnelle, je me suis trouvée en butte à un harcèlement horizontal, je me suis
souvenue de madame P., et j’ai réglé le problème en deux coups de cuillère à
pot.
Aujourd’hui,
hélas, le harcèlement scolaire est devenu fait de société et conduit de trop
nombreuses victimes au suicide. J’en suis glacée d’horreur car, à l’époque, en
dépit de mon désarroi et de ma terreur de devoir retourner à l’école, pas une
fois l’idée ne m’a traversé l’esprit de me réfugier dans la mort. Les enfants
de ma génération étaient peut-être moins au fait que ceux d’aujourd’hui. Le
jeudi, le dimanche et les vacances constituaient de véritables coupures nous
mettant à l’abri de nos harceleurs. Nous
vivions sans téléphone portable, sans téléphone tout cours, hors de réseaux
virtuels débouchant sur de véritables crimes, les pieds scotchés aux patins à
roulettes ou le front penché sur nos premiers livres, rêvant aux héros des
littératures jeunesse d’alors.
Aujourd’hui
où les professeurs des écoles se prennent des baffes pour avoir osé ne
serait-ce qu’une remontrance, une madame P. serait virée avec perte et fracas
de l’Éducation
nationale. Ma mère s’était déplacée pour essayer de régler la question à
l’amiable.
―
Je vais mettre des gants, dit-elle à mon père.
Je
m’interrogeais sur la couleur des gants. Maman n’avait pas dû enfiler la bonne paire
parce que rien ne changea et que l’affaire en resta là. J’étais condamnée à m’écraser
ou à me défendre. Seule.
Allez !
J’en deviendrais nostalgique au point de souhaiter me retrouver face à une
madame P., pourvu que papa et maman soient là pour me réconforter après
l’école.