Un auteur qui publie après son premier livre se doit de saisir la différence entre deuxième et second. S’il parle de son second livre après en avoir sorti un troisième on peut douter de sa maîtrise des subtilités de la langue française. Mais au cas où le troisième bouquin serait encore dans les limbes, c’est que notre écrivain est franchement pessimiste ou bien réaliste, si on considère le parcours d’obstacles qui se dresse devant lui. Et je sais de quoi je parle.
Personnellement, j’ai
radié le mot second de mon vocabulaire et, si vous me suivez sur ce blog, vous
n’ignorez pas qu’en termes de création mon deuxième roman est en réalité le
troisième. La publication est une autre paire de manche. J’arrête de vous
embrouiller.
Donc nous en sommes à
cette période de ma vie littéraire où Diabolo
pacte est achevé mais pas encore publié et où je me cherche des moyens de
me faire connaître. L’idée me vient de participer à des concours de nouvelles. La
récompense financière est, à mes yeux, accessoire quoique je n’y cracherais pas
dessus. Je lance donc deux ou trois poulains dans la course. J’avoue qu’aucun
ne décrochera la timbale. Je n’aurai ni les sous ni la gloire. Je n’aurais certes
pas craché sur la gloriole.
Un jour, je tombe sur
l’annonce d’une localité de l’Est de la France (le Grand Est est encore dans les
limbes) relative à l’ouverture d’un concours de nouvelles sur le thème de la
bière. Voilà une épreuve juste faite pour moi, vu que j’avale autant de bière
que mon clavier crache d’encre fictive. La bière, allemande de surcroit, fait
partie de ma formation, vu que, comble de l’exotisme, j’ai fait des études
d’allemand à Toulouse.
Je commence l’histoire
d’un étudiant allemand qui voyage à vélo sur les routes de la Forêt-Noire et se
voit contraint par l’orage de se réfugier dans l’Auberge Froide. C’est presque
du vécu car, si je ne suis plus étudiante depuis des lustres, j’ai posé mon
vélo contre le mur de l’Auberge Froide en revenant de Budapest. J’avais même
bavardé avec des touristes espagnols dans la langue de Cervantès après avoir
passé commande dans celle de Goethe. Notons
que l’Auberge Froide n’est pas un établissement qui date d’hier puisqu’au XVème
siècle elle se dressait déjà sur les hauteurs. Donc notre étudiant se met
au sec, vide sa chope quand l’orage fait sauter les plombs et que l’obscurité
s’empare de la salle. Quand la lumière revient, notre étudiant s’aperçoit que
l’entourage est déguisé à la mode du XIXème siècle. L’étudiant parle
par ma plume :
Lorsque j’ouvris les paupières, que je regardai autour de moi, je crus
qu’une troupe de comédiens avait envahi l’auberge. Outre la serveuse, tout le
monde semblait sortir du folklore local. Plus personne n’était vêtu
normalement. Absents l’instant d’avant,
quatre gosses jouaient par terre et fourrageaient régulièrement dans des
tignasses infestées de vermine. Un miaulement, suivi d’un feulement furieux, me
fit sursauter. Un garçonnet se tenait la joue, des larmes jaillissaient de ses
yeux. Un grand chat s’éloignait avec majesté, faisant rouler ses muscles sous
un pelage tigré. Comme il s’approchait de la cheminée, la fille d’auberge lui
jeta le reste d’une chope à travers le museau. Le chat recula d’un bond puis la
toisa littéralement du haut de ses quatre pattes.
-- Walhalla, voyou, si tu
n’étais pas la terreur des souris et des rats, il y a longtemps que je t’aurais
mis dehors. Et toi, poursuivit-elle en faisant semblant de fouetter la face livide
de l’enfant, qu’est-ce que tu avais besoin de l’embêter !
Soudain, un détail me troubla. L’électricité avait disparu, la salle
était éclairée à la bougie. Un grand feu brûlait dans l’âtre. La chope devant
moi n’était plus en verre mais en grès. Je m’empressai d’y tremper mes lèvres
pour me rassurer. Je regardai mes bras, mes jambes et me sentis tout
drôle : j’étais moi-même costumé à l’ancienne. La chemise de drap me
grattait la peau au cou et aux épaules, le loden me tenait trop chaud, je
portais une culotte qui s’arrêtait aux genoux et des brodequins de cuir. Et je
n’avais pas souvenir de m’être changé. Je cherchai mes marques, au concret mes
Marks, voire quelques francs. Je tâtonnai dans les poches de mon nouvel habit,
éprouvai le contact du métal, tirai deux pièces à la lueur incertaine des
chandelles. J’y voyais suffisamment clair pour reconnaître l’effigie d’un
prince de jadis et l’année 1795 gravée dans l’argent en chiffres romains.
Très vite, le format de la
nouvelle s’est révélé trop étroit pour l’histoire qui germait dans ma tête. Il
va sans dire que je n’ai jamais concouru. Je mettais néanmoins le pied à
l’étrier d’un cheval complètement cinglé dont je ne pouvais prévoir ni les
ruades, ni les refus d’avancer, encore moins les départs au grand galop.
J’ignorais que je l’enfourchais pour une chevauchée de six longues années. Y
penser me donne soif. J’ai mérité une pinte de bonne bière. Et vous aussi qui
avez bu jusqu’à la dernière ligne.
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