Ce que j'écris, pourquoi, pour qui et les surprises de mon parcours littéraire

jeudi 14 avril 2022

Deuxième ou second ? roman, s’ensuit.

 Un auteur qui publie après son premier livre se doit de saisir la différence entre deuxième et second. S’il parle de son second livre après en avoir sorti un troisième on peut douter de sa maîtrise des subtilités de la langue française. Mais au cas où le troisième bouquin serait encore dans les limbes, c’est que notre écrivain est franchement pessimiste ou bien réaliste, si on considère le parcours d’obstacles qui se dresse devant lui. Et je sais de quoi je parle.

Personnellement, j’ai radié le mot second de mon vocabulaire et, si vous me suivez sur ce blog, vous n’ignorez pas qu’en termes de création mon deuxième roman est en réalité le troisième. La publication est une autre paire de manche. J’arrête de vous embrouiller.

Donc nous en sommes à cette période de ma vie littéraire où Diabolo pacte est achevé mais pas encore publié et où je me cherche des moyens de me faire connaître. L’idée me vient de participer à des concours de nouvelles. La récompense financière est, à mes yeux, accessoire quoique je n’y cracherais pas dessus. Je lance donc deux ou trois poulains dans la course. J’avoue qu’aucun ne décrochera la timbale. Je n’aurai ni les sous ni la gloire. Je n’aurais certes pas craché sur la gloriole.

Un jour, je tombe sur l’annonce d’une localité de l’Est de la France (le Grand Est est encore dans les limbes) relative à l’ouverture d’un concours de nouvelles sur le thème de la bière. Voilà une épreuve juste faite pour moi, vu que j’avale autant de bière que mon clavier crache d’encre fictive. La bière, allemande de surcroit, fait partie de ma formation, vu que, comble de l’exotisme, j’ai fait des études d’allemand à Toulouse.

Je commence l’histoire d’un étudiant allemand qui voyage à vélo sur les routes de la Forêt-Noire et se voit contraint par l’orage de se réfugier dans l’Auberge Froide. C’est presque du vécu car, si je ne suis plus étudiante depuis des lustres, j’ai posé mon vélo contre le mur de l’Auberge Froide en revenant de Budapest. J’avais même bavardé avec des touristes espagnols dans la langue de Cervantès après avoir passé commande dans celle de Goethe.  Notons que l’Auberge Froide n’est pas un établissement qui date d’hier puisqu’au XVème siècle elle se dressait déjà sur les hauteurs. Donc notre étudiant se met au sec, vide sa chope quand l’orage fait sauter les plombs et que l’obscurité s’empare de la salle. Quand la lumière revient, notre étudiant s’aperçoit que l’entourage est déguisé à la mode du XIXème siècle. L’étudiant parle par ma plume :

Lorsque j’ouvris les paupières, que je regardai autour de moi, je crus qu’une troupe de comédiens avait envahi l’auberge. Outre la serveuse, tout le monde semblait sortir du folklore local. Plus personne n’était vêtu normalement. Absents l’instant d’avant,  quatre gosses jouaient par terre et fourrageaient régulièrement dans des tignasses infestées de vermine. Un miaulement, suivi d’un feulement furieux, me fit sursauter. Un garçonnet se tenait la joue, des larmes jaillissaient de ses yeux. Un grand chat s’éloignait avec majesté, faisant rouler ses muscles sous un pelage tigré. Comme il s’approchait de la cheminée, la fille d’auberge lui jeta le reste d’une chope à travers le museau. Le chat recula d’un bond puis la toisa littéralement du haut de ses quatre pattes.

   -- Walhalla, voyou, si tu n’étais pas la terreur des souris et des rats, il y a longtemps que je t’aurais mis dehors. Et toi, poursuivit-elle en faisant semblant de fouetter la face livide de l’enfant, qu’est-ce que tu avais besoin de l’embêter !

Soudain, un détail me troubla. L’électricité avait disparu, la salle était éclairée à la bougie. Un grand feu brûlait dans l’âtre. La chope devant moi n’était plus en verre mais en grès. Je m’empressai d’y tremper mes lèvres pour me rassurer. Je regardai mes bras, mes jambes et me sentis tout drôle : j’étais moi-même costumé à l’ancienne. La chemise de drap me grattait la peau au cou et aux épaules, le loden me tenait trop chaud, je portais une culotte qui s’arrêtait aux genoux et des brodequins de cuir. Et je n’avais pas souvenir de m’être changé. Je cherchai mes marques, au concret mes Marks, voire quelques francs. Je tâtonnai dans les poches de mon nouvel habit, éprouvai le contact du métal, tirai deux pièces à la lueur incertaine des chandelles. J’y voyais suffisamment clair pour reconnaître l’effigie d’un prince de jadis et l’année 1795 gravée dans l’argent en chiffres romains.

Très vite, le format de la nouvelle s’est révélé trop étroit pour l’histoire qui germait dans ma tête. Il va sans dire que je n’ai jamais concouru. Je mettais néanmoins le pied à l’étrier d’un cheval complètement cinglé dont je ne pouvais prévoir ni les ruades, ni les refus d’avancer, encore moins les départs au grand galop. J’ignorais que je l’enfourchais pour une chevauchée de six longues années. Y penser me donne soif. J’ai mérité une pinte de bonne bière. Et vous aussi qui avez bu jusqu’à la dernière ligne.

Kalte Herberge - Schwarz Wald
Auberge Froide - Forêt-Noire


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