Si je n’écrivais pas, je ne bayerais pas pour autant aux corneilles et si je laissais le vélo au garage, je voyagerais autrement, dans un fauteuil, face à l’écran, mes mains passant instantanément du guidon-papillon au clavier azerty. Je partage le temps non dévolu au quotidien entre mes deux passions : le vélo et le stylo. Je pourrais paraphraser le titre d’une émission culturelle qui a enjambé le siècle : le casque et la plume. Mais comme la vie est par essence poreuse, il arrive fréquemment que le territoire de l’un empiète sur celui de l’autre.
Mon deuxième roman, Elwig de
l’Auberge Froide, en est l’illustration. Le vélo y joue le rôle de machine à
remonter le temps et l’Histoire. Le récit est né d’un périple réalisé en deux
temps. Je peux dire qu’Elwig est fille de la mythique randonnée du Danube. Tout
commence en juin 2005 à Colmar sur des randonneuses lestées de sacoches,
destination Budapest. Plus de mille kilomètres le long du Danube. Le premier
jour, nous avons franchi le massif de la Forêt-Noire. En haut de la Nationale
500 nous attendait un carrefour hérissé de panneaux indicateurs et d’où l’on
apercevait une bâtisse imposante, l’archétype des auberges allemandes :
L’Auberge Froide qui, depuis 1480, se dresse à la conjonction de trois routes
qui descendent dans des directions différentes : Donaueschingen, source
officielle du Danube, Fribourg et le pittoresque Titisee sur les berges duquel
prospère l’artisanat traditionnel des coucous. François, mon personnage,
s’élance à vélo en direction de Vienne. Un orage le contraint à faire halte à
l’Auberge Froide. Il pose sa bicyclette dans le garage, s’installe devant une
bière et se retrouve, par enchantement, en 1805, dans la peau d’un étudiant en
médecine en route pour Vienne. Le décor et la vêture régressent dans le temps :
les tonneaux remplacent les chromes de la pompe à bière, la culotte de cuir le
pantalon de toile. C’est le cœur du roman, où mènent et d’où partent les
vaisseaux d’une histoire qui couvre deux siècles. Les paysages et les villes où
se déroulent les péripéties, nous les avons nous-même traversés à vélo. Comme
François nous avons épousé Les foucades du jeune Danube qui l’envoie à l’assaut
de rampaillons de terre. Comme mes personnages, nous avons circulé à
l’intérieur du site enchanteur de la ville de Passau, au confluent de trois
cours d’eau, l’Ilz, l’Inn et le Danube. Comme François je suis partie en quête
du musée de l’histoire de la psychologie, transféré entre temps à Würzburg.
En 2008, nous avons relié
Budapest à la mer Noire, terminus Odessa en Ukraine. Pour parler de la
randonnée du Danube, je cède la parole à mon personnage : Je songeai que longer le Danube à vélo, c’était aussi voyager à
l’intérieur d’un mythe même si nos ambitions s’arrêtaient modestement à Vienne.
Pensez, cher ami, que ce fleuve légendaire naît dans la Forêt-Noire pour se
jeter dans la mer Noire, comme si, depuis la source jusqu’au delta séparés par
près de trois mille kilomètres, des peuples d’idiomes aussi différents que les
Allemands, les Slaves, les Hongrois et les Roumains s’étaient donné le mot,
plus précisément, l’adjectif pour nommer sa fin et son commencement. De ma
randonnée du Danube, de Colmar à Odessa, n’est pas né le traditionnel récit de
voyage mais les rencontres, la découverte ou redécouverte de sites mythiques ou
sauvages m’ont donné le déclic pour écrire un roman sur les rapports
franco-allemands. Ce n’est pas un hasard si mon éditeur, Philippe Villette des éditions Pierre Philippe,
est genevois.
Ce roman est somme toute une
histoire de ponts entre les cultures. L’histoire se déroule aussi dans le Midi
toulousain et relie le grand Danube au petit Tarn, affluent de la Garonne. J’ai
pris pour cadre cette portion de rivière que les cyclotouristes de ma région
connaissent bien et qui va de Villemur à Buzet. C’est à vélo que nous avons
découvert ces villages des bords du Tarn dotés de ponts suspendus. Lorsque nous
partions pour la matinée, nous avions pris l’habitude de casser la croûte
devant un établissement désaffecté : le café du pont. Cette bâtisse mystérieuse
située face au pont suspendu me faisait rêver. Dans le roman, le café du Pont
est devenu l’auberge du Pont : La porte
d’entrée en arceau, les portes-fenêtres de l’étage, tout est clos. Le vert des
volets tranche sur la brique rouge. (…) Une bâtisse en briques rouges, porte et
volets clos, qui se dresse face au parapet.
Je pense que la pratique du vélo
m’a donné l’endurance nécessaire pour bâtir des histoires au long cours. Quand
on affronte des meutes de chiens roumains, on a le courage de se lancer à
l’assaut du monde de l’édition et de persévérer en dépit des obstacles. De même,
quand je suis sur le vélo, fascinée par le charme des paysages ou peinant sous
l’effort, j’oublie tous mes soucis, y compris les chaos et les bâtons dans les
roues de ma carrière littéraire que je souhaiterais en roue libre.
Donaueschingen, naissance du Danube |
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