En observant les lecteurs via ma lorgnette d’auteuresse, fort utile pour diagnostiquer leurs penchants en rien coupables, j’ai pu distinguer deux tendances orientant leur choix : ou bien ils ont envie d’ouvrir un livre qui parle d’eux et des endroits qu’ils connaissent ou bien les pages du livre doivent se transformer en paire d’ailes qui les transportent vers l’inconnu. J’exclue les addicts de science-fiction, accessoirement de Poussière de sable, abonnés aux voyages intergalactiques.
Or Elwig de l’Auberge Froide est un
thriller européen, franco-allemand précisément, et il me semble en cela pouvoir
satisfaire ces deux sortes de lecteurs.
Dans
les salons du livre, j’ai entendu lectrices et lecteurs exprimer motiver leur
intérêt en ces termes :
―
Mon mari est vosgien.
―
C’est l’histoire de mes grands-parents (au sujet de ces enfants allemands
affrontant les dangers sur les routes de l’exode.
―
Je suis alsacienne et ça me touche.
Les
gens de l’Est se sont sentis en effet concernés. D’autant plus que j’ai laissé
volontairement traîner dans le texte des mots et des phrases en allemand, en
m’arrangeant pour que ce soit parfaitement compréhensible pour qui n’a jamais
pratiqué la langue de Goethe.
Mais,
comme nous disait au collège notre professeur d’allemand, chez nous, c’est de l’exotisme. En effet, il y pleut des
hispanisants en toutes saisons. C’est donc naturellement que j’ai situé la
partie française du roman à Toulouse et dans cette portion de campagne baignée
par le Tarn entre Villemur, Mirepoix et Buzet, les trois sur-Tarn. Une petite
rivière face au géant Danube. Pendant de l’Auberge Froide, institution de la Forêt-Noire
depuis le XVème siècle, le Café du Pont que j’ai rebaptisé Auberge
fait face au pont suspendu qui devait s’écrouler sous le poids d’un poids lourd
le 18 novembre 2019. Un drame se soldant par la mort du chauffeur du camion et
la disparition d’une mère de famille et de sa fille de 15 ans. Que de fois
n’ai-je cassé la croûte face au pont, sous les volets clos du café fermé depuis
des lustres, mon vélo appuyé à la rambarde ?
« Pour finir ils passent le pont
suspendu. La technicienne se gare devant l’auberge du Pont, désaffectée depuis
des lustres. La porte d’entrée en arceau, les portes-fenêtres de l’étage, tout
est clos. Le vert des volets tranche sur la brique rouge. »
C’est
hantée par l’écriture de ce roman que je suis tombée sur les drames qui ensanglantèrent
la forêt de Buzet en juillet 1944 et auxquels j’ai donné corps à travers Juliette,
la jeune fille éprise d’Albert Montariol, Résistant.
Les
lieux décrits dans les romans ne sont pas forcément ceux où l’auteur a grandi,
ni même séjourné. Chaque fois qu’on m’a dit Vous
connaissez bien le coin j’ai dû répondre :
―
Eh bien non, je n’y ai jamais avoir mis les pieds ni les roues du vélo.
Qu’il
s’agisse de Königsberg-Kaliningrad, Baden-Baden ou Bamberg, au contraire de
Vienne ou Passau. J’ai eu la surprise d’avoir été interviewée dans 2 radios
différentes par d’anciennes élèves du lycée français de Baden-Baden.
―
On ne sort pas indemne de la lecture de votre roman, m’a confié l’une, c’est
exactement l’ambiance que j’ai connue, la rivalité entre les petits Français et
les petits Allemands. Vous y avez sûrement vécu.
Afin
de restituer le décor et le parfum de lieux que je ne connaissais pas, j’ai lu.
Jean-Paul, mon équipier cyclotouriste auquel j’ai dédié Elwig de l’Auberge Froide, m’a offert, à l’époque où je planchais
sur cette histoire (6 ans, quand même !) un petit roman de Jules Verne
intitulé Le beau Danube jaune. Le héros effectue en radeau une descente du Danube et
traverse des localités inconnues de lui. C’est à partir de guides touristiques
que Jules Verne leur a donné vie, sans qu’il y manque l’odeur de la saucisse
grillée.
Quant
au plus long fleuve européen dont je sais l’absence de bleu pour avoir vécu à
Vienne et avoir suivi son cours jusqu’en Ukraine, il m’a permis de découvrir un
grand écrivain triestin, Claudio Magris, à travers son Danube. Je l’ai
même rencontré à Toulouse où il signait sa dernière œuvre chez Castela,
librairie hélas disparue. En lui présentant mon exemplaire de Vous
comprendrez donc, je me suis bien gardé de parler de mon Diabolo pacte, qui devait paraître dans
2 mois, mais de mon périple danubien de l’année dernière à vélo et en totale
autonomie. Claudio Magris m’a paru impressionné et m’a demandé des détails. Je
lui ai dit que c’est grâce à ce voyage que j’avais découvert Danube et son auteur en
précisant ;
―
C’est un livre merveilleux.
J’entendais
par là les réflexions hautement philosophiques et intelligentes portées par le
souffle d’un style puissant. Claudio Magris était touché par ma remarque. Je
m’en souviens comme si c’était hier. Je revois cet écrivain, qui a frôlé le
Nobel de littérature, ne cachant pas sa joie devant le compliment d’une humble
lectrice portée sur la pédale.
Vendredi
prochain, c’est promis, je vous parle vélo et de son rôle dans Elwig de l’Auberge Froide.
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