L’art du roman, c’est celui de raconter des histoires et de donner une âme à des personnages, au point qu’ils prennent vie dans l’imagination des lecteurs. Au bout de quelques lignes, les marionnettes que l’auteur agite coupent le cordon ombilical qui les relie à l’auteur. Dans l’immense cohorte des personnages de romans, de rares élus accèdent au statut d’archétype : Emma, Sherlock, Rastignac et les autres.
Mais
je ne suis pas venue ici pour enfoncer des portes ouvertes. Je ménage mon
épaule, à défaut de mes méninges.
Donc,
j’écris des romans parce que j’aime raconter des histoires que, le plus
souvent, j’invente. En effet, il y a peu de chances que je sois tombée sur une
abominable pieuvre des sables ou un euskalien de plumes et de lumière.
Je
prends toutefois le risque de me démettre l’autre épaule : si on aime
raconter des histoires, c’est qu’on aime en écouter. De la même manière qu’un
écrivain a été et est un lecteur boulimique.
Donc
l’époque où j’aimais entendre des histoires remonte à très loin, en ces temps
de l’enfance sans smartphone et sans télé ou du moins l’éteignait-on quand un
visiteur était là. Les enfants ne monopolisaient pas les conversations, réduits
à écouter les adultes ou à jouer sous la table. La réduction m’allait très bien
car j’étais toute ouïe dès que les grandes personnes racontaient leurs
histoires.
L’un
des frères de ma mère déboulait souvent en pleine nuit d’on ne savait d’où en
apportant une bourriche d’huîtres. Un type de sac et de corde, disait mon père.
Toutefois doublé d’un bourreau des cœurs qui allait de ville en ville.
La
meilleure fut le non-mariage de mon parrain, frère aussi de ma mère qui
racontait que, petit, il cassait tous les jouets pour voir ce qu’il y avait
dedans. N’ayant pas le certificat d’études, il fut refoulé d’une école
technique et eut une vocation que son physique et sa souplesse lui permirent de
réaliser: la danse qu’il apprenait à Paris. Mais c’est à Toulouse qu’il
s’enticha d’une femme qui le rendait malheureux. Si accro qu’il voulut l’épouser
mais ses copains veillaient qui le jetèrent, fin saoul, dans le train de nuit
pour Paris. Je vous laisse imaginer la tête des familles et des invités devant
la mairie. Comme me l’a dit un jour son jeune frère :
―
On voit ça dans les films mais chez nous ça arrive.
Je
suis sûre que vous aussi vous en avez de belles à raconter.
Suite
et fin de l’histoire : une carrière de danseur, c’est court. Mon parrain
finit par se marier à Montréal. Il changea de métier. Là-bas, on ne lui demanda
pas s’il avait des diplômes. Il leur suffit de constater qu’il maîtrisait
l’électricité et l’électronique sans avoir jamais appris.
Quant
à ma marraine, elle savait réparer les bagnoles. Comme quoi, ni l’un ni l’autre
ne m’ont soufflé dessus.
J’aimais
aussi entendre les discussions entre Maman et la seule copine qu’elle eût dans
sa vie adulte. Deux formules qui me mettaient particulièrement en joie :
―
On est marron.
―
J’en ai un plein chapeau.
Parfois,
je laisse traîner dans mes dialogues des expressions glanées ici ou là.
J’aimais
écouter, j’ai écouté mais il y a une chose que je regrette, c’est de pas avoir
posé de questions. Parce que je n’y ai pas pensé, parce que j’étais adolescente
et tourmentée par d’autres questions. À présent que plus personne n’est là pour
me répondre je n’ai d’autre issue que d’imaginer, romancer…
Mon parrain avec ma mère, Marraine et filleule |