Ce que j'écris, pourquoi, pour qui et les surprises de mon parcours littéraire

dimanche 24 juillet 2022

Une étape à Bourg Saint-Maurice

Voilà trois ans que Poussière de sable était sur le métier. J’avançais, j’avançais avec une lenteur de tortue sûre de mordre au bout de la course dans sa feuille de batavia. J’avançais lentement, à l’allure où mon vélo montait les cols alpins en ce mois de juin. De Cannes à Thonon-les-Bains la route Napoléon est longue mais magnifique. Il faut dire qu’après l’ascension de la Bonnette et une nuit de repos, nous nous étions enfilés le Vars puis l’Izoard. Dans le tunnel du Montgenèvre, soudain privée de lumière, j’ai dû mon salut à un routier sympa qui a ralenti pour m’éclairer pleins phares jusqu’à la sortie. Après l’ascension du Mont- Cenis, nous voilà à Bessans, au pied de l’Iserans qui, selon le panneau, serait fermé. Que faire ? Des motards qui en descendent nous affirment qu’on peut passer, sauf qu’au sommet l’Équipement n’a pas déblayé volontairement sur une vingtaine de mètres. Casse-croûte en cours d’ascension, puis nous roulons entre les congères qui s’élèvent de part et d’autre de la route. Comme prévu, nous poussons nos machines sur quelques mètres pour franchir le col puis nous abordons, vêtus chaudement, la longue descente sur Val d’Isère où, laissant tomber nos gants de ski, nous déjeunons au restaurant. L’étape du soir se fera à Bourg-Saint-Maurice, à l’hôtel de la Colonne. Dès l’entrée, une photo montrant un couple médiatique interpelle. À l’époque, Hervé Gaymard était ministre de l’agriculture sous la présidence de Jacques Chirac et son épouse, Clara, fille du professeur Lejeune, généticien célèbre et connu pour son hostilité à l’interruption volontaire de grossesse. Ce sont des amis du patron de l’hôtel car Hervé Gaymard est né à Bourg-Saint-Maurice. J’ignore encore qu’à l’automne de cette année-là je verrai de mes propres yeux le visage halé d’Hervé Gaymard lors de circonstances tragiques : les obsèques de 2 collègues abattus à coups de fusil par un arboriculteur de Dordogne lors d’un contrôle de travail dissimulé. L’inspection des lois sociales agricoles dépendait alors du ministère de l’agriculture.

Mais, en cette fin d’après-midi de juin, nous profitons d’un apéritif agrémenté de chips de maïs trempées dans le guacamole. Mais passons au plat de résistance car, jusqu’à présent, le pourquoi de ce récit n’a apparemment rien à voir avec le stylo mais tout avec le vélo et le boulot. C’est que la conversation prend un tour singulier : le patron, Jean-Luc Favre, est avant tout écrivain. Certes, moins connu que Musso, Lévy & Cie qui, eux, n’ont pas la singularité de tenir un hôtel.

On lui glisse à l’oreille que j’écris et sa réaction est immédiate :

― Vous êtes publiée ?

― Non, pas encore, j’écris dans l’ombre.

Poussière de sable ne sera en effet achevé que l’année suivante. Ce que je savais déjà vient de m’être confirmé : sans la reconnaissance du milieu, pas d’écrivain. Mais, tomber sur un tenancier d’hôtel qui est un écrivain publié, ne suffisait pas. Comme je mentionne que je fais dans la science-fiction, le serveur met son grain de sel : il est en train d’écrire un mémoire sur les lecteurs de SF. Je prends la coïncidence comme un heureux présage (Jung parlerait de synchronicité).

Il faudra quand même des lustres pour que Poussière de sable trouve son éditeur (il est vrai, après 2 publications en littérature générale). Il y a belle lurette qu’Hervé Gaymard n’est plus ministre. Et, en rédigeant cet article, j’ai appris que 3 mois seulement après mon passage à Bourg-Saint-Maurice, avec un vélo lesté de sacoches et de rêves, l’hôtel de la Colonne fermerait définitivement ses portes.


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