Voilà
trois ans que Poussière de sable
était sur le métier. J’avançais, j’avançais avec une lenteur de tortue sûre de
mordre au bout de la course dans sa feuille de batavia. J’avançais lentement, à
l’allure où mon vélo montait les cols alpins en ce mois de juin. De Cannes à
Thonon-les-Bains la route Napoléon est longue mais magnifique. Il faut dire
qu’après l’ascension de la Bonnette et une nuit de repos, nous nous étions
enfilés le Vars puis l’Izoard. Dans le tunnel du Montgenèvre, soudain privée de
lumière, j’ai dû mon salut à un routier sympa qui a ralenti pour m’éclairer pleins
phares jusqu’à la sortie. Après l’ascension du Mont- Cenis, nous voilà à
Bessans, au pied de l’Iserans qui, selon le panneau, serait fermé. Que
faire ? Des motards qui en descendent nous affirment qu’on peut passer,
sauf qu’au sommet l’Équipement n’a pas déblayé volontairement sur une vingtaine
de mètres. Casse-croûte en cours d’ascension, puis nous roulons entre les
congères qui s’élèvent de part et d’autre de la route. Comme prévu, nous
poussons nos machines sur quelques mètres pour franchir le col puis nous
abordons, vêtus chaudement, la longue descente sur Val d’Isère où, laissant
tomber nos gants de ski, nous déjeunons au restaurant. L’étape du soir se fera
à Bourg-Saint-Maurice, à l’hôtel de la Colonne. Dès l’entrée, une photo montrant
un couple médiatique interpelle. À l’époque, Hervé Gaymard était
ministre de l’agriculture sous la présidence de Jacques Chirac et son épouse,
Clara, fille du professeur Lejeune, généticien célèbre et connu pour son
hostilité à l’interruption volontaire de grossesse. Ce sont des amis du patron
de l’hôtel car Hervé Gaymard est né à Bourg-Saint-Maurice. J’ignore encore qu’à
l’automne de cette année-là je verrai de mes propres yeux le visage halé d’Hervé
Gaymard lors de circonstances tragiques : les obsèques de 2 collègues
abattus à coups de fusil par un arboriculteur de Dordogne lors d’un contrôle de
travail dissimulé. L’inspection des lois sociales agricoles dépendait alors du
ministère de l’agriculture.
Mais,
en cette fin d’après-midi de juin, nous profitons d’un apéritif agrémenté de
chips de maïs trempées dans le guacamole. Mais passons au plat de
résistance car, jusqu’à présent, le pourquoi de ce récit n’a apparemment
rien à voir avec le stylo mais tout avec le vélo et le boulot. C’est que la
conversation prend un tour singulier : le patron, Jean-Luc Favre, est
avant tout écrivain. Certes, moins connu que Musso, Lévy & Cie
qui, eux, n’ont pas la singularité de tenir un hôtel.
On
lui glisse à l’oreille que j’écris et sa réaction est immédiate :
―
Vous êtes publiée ?
― Non,
pas encore, j’écris dans l’ombre.
Poussière de sable ne sera en effet achevé
que l’année suivante. Ce que je savais déjà vient de m’être confirmé :
sans la reconnaissance du milieu, pas d’écrivain. Mais, tomber sur un tenancier
d’hôtel qui est un écrivain publié, ne suffisait pas. Comme je mentionne que je
fais dans la science-fiction, le serveur met son grain de sel : il est en
train d’écrire un mémoire sur les lecteurs de SF. Je prends la coïncidence
comme un heureux présage (Jung parlerait de synchronicité).
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