Ce que j'écris, pourquoi, pour qui et les surprises de mon parcours littéraire

jeudi 26 mai 2022

Les synchronicités font parfois les romans

Dans la série « belles rencontres » je vais vous en conter de bien surprenantes. Elles ne portent pas de prénoms, il ne s’agit pourtant pas d’extraterrestres mais de phénomènes bien humains mis en relief en son temps par Carl Gustav Jung sous le terme éloquent de synchronicités. Deux éléments sans rapport l’un avec l’autre se télescopent et font sens. Par exemple, vous pensez à x, votre téléphone stridule, vous appuyez et vous reconnaissez la voix de x auquel vous vous empressez de confier :

Justement, je pensais à vous.

Cela m’est arrivé 50 fois et des trucs encore plus frappants mais ce blog est un blog littéraire, donc voici les synchronicités les plus parlantes qui sont survenues lors de mes travaux d’écriture.

Dès que j’ai entamé Poussière de sable, je me suis posée la question : quel vocabulaire employer pour décrire des mondes imaginaires et donner ce qui tient lieu de parole à des aliens ? Euskaliens, gogorkis, somoraks, ce sont des mots basques que certains de mes lecteurs ont d’ailleurs reconnus.

Pourquoi le basque ? Je ne le parle pas ni ne le comprend mais certains de mes ancêtres maternels venaient de la Soule. D’autre part, quand j’ai commencé le roman avec l’idée de confronter deux espèces personnifiant l’une pour l’autre l’étrangeté et l’altérité, j’ai cherché à créer un vocabulaire adéquat. On m’a offert à cette époque un livre sur les légendes peuls. Je n’ai pas réussi à entrer dedans. En même temps j’avais lu quelque part que les Basques seraient un peuple protohistorique ayant survécu à la dernière glaciation. Alors je me suis souvenu des mots que prononçait ma grand-mère et j’ai acheté un dictionnaire franco-basque. J’ai commencé à nommer mes personnages. L’un d’eux s’appelle Kastouch, c’est simplement l’abréviation de mon ancêtre basque : Castouchouarrena. Quand il a été question de nommer mon grand maître ès Suggestion, j’ai inventé un mot pour désigner cette personnalité centrale : Iradoki. Plus tard, pour voir si ce mot a un sens, la curiosité m’a poussé à ouvrir mon dictionnaire en cherchant ce mot Iradoki. Là j’ai manqué tomber à la renverse. Iradoki figurait dans mon dictionnaire et sa signification correspond au-delà de ce que je pouvais imaginer à l’idée que je voulais lui donner. Iradoki signifie en basque… suggérer. Je pouvais tout imaginer à propos de la vivacité de ma culture basque inconsciente.

J’ai voyagé avec Elwig de l'Auberge Froide durant 6 ans, à pied, à cheval, à vélo, à travers l’Europe des berges du Tarn à Kaliningrad et de 1805 à nos jours. Dans l’une de ses incarnations Elwig voyage à vélo le long du Danube tandis qu’un étrangleur la guette au détour d’un virage. Vous vous doutez de l’issue. Donc j’étais immergée dans cette histoire qui me hantait jour et nuit jusque dans mes rêves. Le clavier au repos, j’allume la télé et tombe par hasard sur une émission traitant de vieilles affaires criminelles et que je ne connaissais pas. Quand on est en train de bâtir un thriller, on absorbe tout ce qui peut nourrir sa trame. Donc, je suis suspendue à l’écran. Le choc : la future victime, Janet Marshall, circulait à travers la France à bord d’un vélo lesté de sacoches quand son assassin a mis un terme à son voyage. Son corps fut retrouvé le 28 août 1955 dans un fourré sur la commune de Belly-sur-Somme et l’enquête qui piétinait trouva son épilogue le 11 janvier 1956. Robert Avril, le coupable, avait été libéré du bagne en juillet. Preuve en est que déjà se posait la question de la récidive et de l’insécurité pour une femme à emprunter en solitaire des itinéraires peu fréquentés. Mais, ce qui fit tilt dans ma tête fut la confrontation des dates : 1955, mon année de naissance. Avril (le patronyme de l’étrangleur), mon mois de naissance et le 11 janvier, jour de naissance de ma mère.

Billevesées, me direz-vous. Libre à vous de le penser. Voici le lien vers l’affaire Janet Marshall. Quant à moi, je n’ai jamais vécu le genre de synchronicité sur lequel fantasment les auteurs : me trouver dans le métro et découvrir que la personne en face est en train de lire un livre qui n’est autre que l’un des miens.

Une route, en Roumanie



jeudi 19 mai 2022

Eva Kopp, des sourires et des lettres

 Après Nathalie Glévarec et François Aronsohn, j’ai eu la chance de faire la connaissance d’Eva Kopp, écrivain pour les grands et les petits, animatrice radio, chroniqueuse, scénariste, j’en oublie sûrement. C’est qu’elle a plus d’une corde à son arc. C’était le 5 mai 2018 dans un salon du livre au centre de Toulouse. Eva, dont le 1er roman, L’enfant du tsunami, était sorti à Genève chez le même éditeur que le mien m’a demandé de lui dédicacer Elwig de l’Auberge Froide, en m’apprenant que les auteurs publiés à compte d’éditeur se comptaient sur une main de menuisier ayant abusé de la scie circulaire : 1 sur 3000. D’origine alsacienne, Elwig a dégusté mon thriller franco-allemand dont l’histoire débute en pleine canicule à la morgue de Toulouse.

Nous nous retrouvons en décembre pour une dédicace à la librairie L'Exemplaire. C’est Eva qui a suggéré à Peggy de m’inviter. Poussière de sable, l’épopée euskalienne vient de sortir et trouve ses premiers lecteurs.

En ce qui concerne la vie hors les livres, Eva et moi nous situons à l’opposé : son bébé devient un petit garçon, ma vieille mère développe déjà les symptômes du cancer sanguin qui devait l’emporter dans sept mois. Bien sûr, j’ignore à quel point la situation est grave, voire désespérée. Il ne sera plus question pour de longs mois de la promotion du premier volet de mon opus de science-fiction. Eva, qui l’a lu, souhaite m’interviewer pour Toulouscope. J’en suis fière car, elle m’avoue que, n’étant pas une addict de SF, mes aliens ont réussi à la captiver. Mais je n’ai pas le cœur à me pencher sur la littérature. J’ai cessé de flipper sur les ventes et le sort des manuscrits qui dorment dans le disque dur de mon ordi. Je suis la fille d’une mère atteinte d’une maladie mortelle.

Au mois de juillet, me voilà orpheline. Mais, comme dit Paul Valéry, Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Je reviens vers la littérature, d’autant plus que Maman n’aurait pas souhaité que je jette l’éponge et que L’épopée euskalienne lui est dédiée. Je reviens vers Eva. Je peine à fournir des photos. Et l’article paraît : https://www.toulouscope.fr/toulouse-a-du-talent/embarquement-immediat-pour-poussiere-de-sable-lepopee-euskalienne-le-roman-science-fiction-de-la-toulousaine-claudine-caudat/

Depuis, j’ai eu le plaisir de lire le 2ème roman d’Eva, Celle qui dérange.

J’espère que nous nous croiserons encore.

Eva Kopp


jeudi 12 mai 2022

Intramuros sur Poussière de sable, légendes ourdiniennes


Ce vendredi, revenons à nos moutons mes aliens. Parmi eux, des moutons, des bergers, des loups et une minorité qui refuse de se soumettre. Sinon il n’y aurait pas d’histoire.

Après un long détour suivant les méandres de mon roman n°2, Elwig de l'Auberge Froide, j’irai droit au but : Quand le livre est tiré, il faut le vendre. Je parle de ma dernière parution, Poussière de sable, Légendes oudiniennes. Car un écrit qui ne trouve pas ses lecteurs reste lettre morte. Et c’est bien triste, surtout pour l’auteur.

Pour que de potentiels lecteurs se décident à franchir le pas, il faut qu’ils en aient entendu parler, que le bouche à oreille ouvre une voie, que des personnes influentes fassent entendre leur voix. Dans ce raz-de-marée littéraire qui déferle en continue, chaque roman fait figure de bouteille à la mer avec un message à l’intérieur. Coulera-t-elle à pic avant d’avoir été ouverte ? La bouteille à l’encre ?

Ne dit-on pas d’un livre, d’un film, d’une pièce de théâtre : En bien, en mal, pourvu qu’on en parle ! ?

Depuis des semaines, j’attendais la première critique venant de la presse, souvent inaccessible. Entre temps j’avais eu droit aux encouragements de mon éditeur : Tu ne dois pas douter de la qualité de tes romans. Et d’une lectrice qui s’est procuré les 2 premiers volets de Poussière de sable et qui m’a confié son ressenti, très positif, avec un gros plus : Le deuxième est encore mieux que le premier. Il est en effet décourageant pour un auteur de s’entendre dire que son premier roman était beaucoup mieux que le second/deuxième. S’il ne jette pas l’éponge, c’est qu’il est très opiniâtre ou très naïf. Par bonheur, la critique de Michel Dargel dans Intramuros m’a évité ce geste désespéré. J’attendais, me disant que si rien ne venait c’était que ce lecteur dont l’avis pèse du plomb n’avait peut-être pas apprécié mes Légendes ourdiniennes. Je me sentais déjà plombée quand j’ai découvert la toute première critique de mon dernier roman. Je cède la plume à Michel Dargel.

 

“Poussière de sable, légendes ourdiniennes”, de Claudine Candat (RROYZZ Éditions, 343 pages, 19,00 €) Faisant suite à L’épopée euskalienne chroniquée en son temps dans ces colonnes, voici le tome 2 de ces poussières de sable dont on ne sait pas si elles retomberont un jour et si oui, où. La science-fiction de Claudine Candat défie toutes les lois : celle de la gravité, de l’apesanteur, du temps, de l’évolution, voire même les lois du genre. Ses mondes ont peut-être existé ou existeront après, ses créatures sont pourvues d’auras lumineuses, d’ailes fines et transparentes, de nageoires et de palmes, communiquent en langage hypersonique ou s’habillent en peau de requin. Pourtant, aussi improbables et différents de nous qu’ils·elles puissent être, tou·s·tes luttent pour les mêmes valeurs que nous, la liberté, la justice, la reconnaissance et le besoin d’être aimés. Rien n’est jamais acquis, toujours il a fallu, il faut ou il faudra se battre. Dans ce labyrinthe poético galactique si bien construit, tour à tour lumineux ou vertigineux où l’auteure nous invite, le voilà notre fil d’Ariane, vieux comme notre univers, dont la solidité, proportionnelle à la confiance que nous mettons en l’Homme, nous permettra de retrouver la lumière. (M. D.)

n° 465 - mai - juin 2022


jeudi 5 mai 2022

Elwig de l’Auberge Froide, un roman européen né du cylotourisme

 Si je n’écrivais pas, je ne bayerais pas pour autant aux corneilles et si je laissais le vélo au garage, je voyagerais autrement, dans un fauteuil, face à l’écran, mes mains passant instantanément du guidon-papillon au clavier azerty. Je partage le temps non dévolu au quotidien entre mes deux passions : le vélo et le stylo. Je pourrais paraphraser le titre d’une émission culturelle qui a enjambé le siècle : le casque et la plume. Mais comme la vie est par essence poreuse, il arrive fréquemment que le territoire de l’un empiète sur celui de l’autre.

Mon deuxième roman, Elwig de l’Auberge Froide, en est l’illustration. Le vélo y joue le rôle de machine à remonter le temps et l’Histoire. Le récit est né d’un périple réalisé en deux temps. Je peux dire qu’Elwig est fille de la mythique randonnée du Danube. Tout commence en juin 2005 à Colmar sur des randonneuses lestées de sacoches, destination Budapest. Plus de mille kilomètres le long du Danube. Le premier jour, nous avons franchi le massif de la Forêt-Noire. En haut de la Nationale 500 nous attendait un carrefour hérissé de panneaux indicateurs et d’où l’on apercevait une bâtisse imposante, l’archétype des auberges allemandes : L’Auberge Froide qui, depuis 1480, se dresse à la conjonction de trois routes qui descendent dans des directions différentes : Donaueschingen, source officielle du Danube, Fribourg et le pittoresque Titisee sur les berges duquel prospère l’artisanat traditionnel des coucous. François, mon personnage, s’élance à vélo en direction de Vienne. Un orage le contraint à faire halte à l’Auberge Froide. Il pose sa bicyclette dans le garage, s’installe devant une bière et se retrouve, par enchantement, en 1805, dans la peau d’un étudiant en médecine en route pour Vienne. Le décor et la vêture régressent dans le temps : les tonneaux remplacent les chromes de la pompe à bière, la culotte de cuir le pantalon de toile. C’est le cœur du roman, où mènent et d’où partent les vaisseaux d’une histoire qui couvre deux siècles. Les paysages et les villes où se déroulent les péripéties, nous les avons nous-même traversés à vélo. Comme François nous avons épousé Les foucades du jeune Danube qui l’envoie à l’assaut de rampaillons de terre. Comme mes personnages, nous avons circulé à l’intérieur du site enchanteur de la ville de Passau, au confluent de trois cours d’eau, l’Ilz, l’Inn et le Danube. Comme François je suis partie en quête du musée de l’histoire de la psychologie, transféré entre temps à Würzburg.

En 2008, nous avons relié Budapest à la mer Noire, terminus Odessa en Ukraine. Pour parler de la randonnée du Danube, je cède la parole à mon personnage : Je songeai que longer le Danube à vélo, c’était aussi voyager à l’intérieur d’un mythe même si nos ambitions s’arrêtaient modestement à Vienne. Pensez, cher ami, que ce fleuve légendaire naît dans la Forêt-Noire pour se jeter dans la mer Noire, comme si, depuis la source jusqu’au delta séparés par près de trois mille kilomètres, des peuples d’idiomes aussi différents que les Allemands, les Slaves, les Hongrois et les Roumains s’étaient donné le mot, plus précisément, l’adjectif pour nommer sa fin et son commencement. De ma randonnée du Danube, de Colmar à Odessa, n’est pas né le traditionnel récit de voyage mais les rencontres, la découverte ou redécouverte de sites mythiques ou sauvages m’ont donné le déclic pour écrire un roman sur les rapports franco-allemands. Ce n’est pas un hasard si mon éditeur, Philippe Villette des éditions Pierre Philippe, est genevois.

Ce roman est somme toute une histoire de ponts entre les cultures. L’histoire se déroule aussi dans le Midi toulousain et relie le grand Danube au petit Tarn, affluent de la Garonne. J’ai pris pour cadre cette portion de rivière que les cyclotouristes de ma région connaissent bien et qui va de Villemur à Buzet. C’est à vélo que nous avons découvert ces villages des bords du Tarn dotés de ponts suspendus. Lorsque nous partions pour la matinée, nous avions pris l’habitude de casser la croûte devant un établissement désaffecté : le café du pont. Cette bâtisse mystérieuse située face au pont suspendu me faisait rêver. Dans le roman, le café du Pont est devenu l’auberge du Pont : La porte d’entrée en arceau, les portes-fenêtres de l’étage, tout est clos. Le vert des volets tranche sur la brique rouge. (…) Une bâtisse en briques rouges, porte et volets clos, qui se dresse face au parapet.

Je pense que la pratique du vélo m’a donné l’endurance nécessaire pour bâtir des histoires au long cours. Quand on affronte des meutes de chiens roumains, on a le courage de se lancer à l’assaut du monde de l’édition et de persévérer en dépit des obstacles. De même, quand je suis sur le vélo, fascinée par le charme des paysages ou peinant sous l’effort, j’oublie tous mes soucis, y compris les chaos et les bâtons dans les roues de ma carrière littéraire que je souhaiterais en roue libre.

Donaueschingen, naissance du Danube 


vendredi 29 avril 2022

Aller dans le décor sans danger et rencontre avec Claudio Magris

 En observant les lecteurs via ma lorgnette d’auteuresse, fort utile pour diagnostiquer leurs penchants en rien coupables, j’ai pu distinguer deux tendances orientant leur choix : ou bien ils ont envie d’ouvrir un livre qui parle d’eux et des endroits qu’ils connaissent ou bien les pages du livre doivent se transformer en paire d’ailes qui les transportent vers l’inconnu. J’exclue les addicts de science-fiction, accessoirement de Poussière de sable, abonnés aux voyages intergalactiques.

Or Elwig de l’Auberge Froide est un thriller européen, franco-allemand précisément, et il me semble en cela pouvoir satisfaire ces deux sortes de lecteurs.

Dans les salons du livre, j’ai entendu lectrices et lecteurs exprimer motiver leur intérêt en ces termes :

Mon mari est vosgien.

C’est l’histoire de mes grands-parents (au sujet de ces enfants allemands affrontant les dangers sur les routes de l’exode.

Je suis alsacienne et ça me touche.

Les gens de l’Est se sont sentis en effet concernés. D’autant plus que j’ai laissé volontairement traîner dans le texte des mots et des phrases en allemand, en m’arrangeant pour que ce soit parfaitement compréhensible pour qui n’a jamais pratiqué la langue de Goethe.

Mais, comme nous disait au collège notre professeur d’allemand, chez nous, c’est de l’exotisme. En effet, il y pleut des hispanisants en toutes saisons. C’est donc naturellement que j’ai situé la partie française du roman à Toulouse et dans cette portion de campagne baignée par le Tarn entre Villemur, Mirepoix et Buzet, les trois sur-Tarn. Une petite rivière face au géant Danube. Pendant de l’Auberge Froide, institution de la Forêt-Noire depuis le XVème siècle, le Café du Pont que j’ai rebaptisé Auberge fait face au pont suspendu qui devait s’écrouler sous le poids d’un poids lourd le 18 novembre 2019. Un drame se soldant par la mort du chauffeur du camion et la disparition d’une mère de famille et de sa fille de 15 ans. Que de fois n’ai-je cassé la croûte face au pont, sous les volets clos du café fermé depuis des lustres, mon vélo appuyé à la rambarde ?

« Pour finir ils passent le pont suspendu. La technicienne se gare devant l’auberge du Pont, désaffectée depuis des lustres. La porte d’entrée en arceau, les portes-fenêtres de l’étage, tout est clos. Le vert des volets tranche sur la brique rouge. »

C’est hantée par l’écriture de ce roman que je suis tombée sur les drames qui ensanglantèrent la forêt de Buzet en juillet 1944 et auxquels j’ai donné corps à travers Juliette, la jeune fille éprise d’Albert Montariol, Résistant.

Les lieux décrits dans les romans ne sont pas forcément ceux où l’auteur a grandi, ni même séjourné. Chaque fois qu’on m’a dit Vous connaissez bien le coin j’ai dû répondre :

Eh bien non, je n’y ai jamais avoir mis les pieds ni les roues du vélo.

Qu’il s’agisse de Königsberg-Kaliningrad, Baden-Baden ou Bamberg, au contraire de Vienne ou Passau. J’ai eu la surprise d’avoir été interviewée dans 2 radios différentes par d’anciennes élèves du lycée français de Baden-Baden.

On ne sort pas indemne de la lecture de votre roman, m’a confié l’une, c’est exactement l’ambiance que j’ai connue, la rivalité entre les petits Français et les petits Allemands. Vous y avez sûrement vécu.

Afin de restituer le décor et le parfum de lieux que je ne connaissais pas, j’ai lu. Jean-Paul, mon équipier cyclotouriste auquel j’ai dédié Elwig de l’Auberge Froide, m’a offert, à l’époque où je planchais sur cette histoire (6 ans, quand même !) un petit roman de Jules Verne intitulé Le beau Danube jaune. Le héros effectue en radeau une descente du Danube et traverse des localités inconnues de lui. C’est à partir de guides touristiques que Jules Verne leur a donné vie, sans qu’il y manque l’odeur de la saucisse grillée.

Quant au plus long fleuve européen dont je sais l’absence de bleu pour avoir vécu à Vienne et avoir suivi son cours jusqu’en Ukraine, il m’a permis de découvrir un grand écrivain triestin, Claudio Magris, à travers son Danube. Je l’ai même rencontré à Toulouse où il signait sa dernière œuvre chez Castela, librairie hélas disparue. En lui présentant mon exemplaire de Vous comprendrez donc, je me suis bien gardé de parler de mon Diabolo pacte, qui devait paraître dans 2 mois, mais de mon périple danubien de l’année dernière à vélo et en totale autonomie. Claudio Magris m’a paru impressionné et m’a demandé des détails. Je lui ai dit que c’est grâce à ce voyage que j’avais découvert Danube et son auteur en précisant ;

C’est un livre merveilleux.

J’entendais par là les réflexions hautement philosophiques et intelligentes portées par le souffle d’un style puissant. Claudio Magris était touché par ma remarque. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je revois cet écrivain, qui a frôlé le Nobel de littérature, ne cachant pas sa joie devant le compliment d’une humble lectrice portée sur la pédale.

Vendredi prochain, c’est promis, je vous parle vélo et de son rôle dans Elwig de l’Auberge Froide.

Mirepoix-sur-Tarn 

pont suspendu du Tarn





jeudi 21 avril 2022

Des muscles et du nez

 Puisque j’ai mis le pied à l’étrier, autant que j’enfourche la monture et poursuive sur ma lancée. Donc je me mets à l’écriture de mon deuxième roman (publié) qui en réalité le 3ème : Elwig de l’Auberge Froide. 6 ans de travail. L’histoire déroule ses méandres de 1805 à nos jours sous l’égide du romantisme allemand et du plus ésotérique des pionniers de la psychanalyse, Carl Gustav Jung. Au départ, un étudiant français frappe à la porte d’une auberge allemande et se retrouve dans la peau d’un étudiant en médecine en route pour Vienne. Le vent de la grande histoire souffle sur mon inspiration, des guerres napoléoniennes jusqu’au deuxième conflit mondial, poussant ses pointes jusqu’à la période de la Libération en France et de la partition de l’Allemagne. Mais je ne vais pas vous raconter l’histoire, disponible dans sa version publiée mais, ça, c’est une autre histoire, une autre paire de manches. En attendant, je me retrousse les miennes. Je suis au pied du mur, là où on voit le maçon, sauf que le maçon c’est moi, tant j’éprouve en mon corps la sensation de faire un travail d’architecte. Je m’empare de pans entiers de mon histoire, les soupèse, les déplace, les agence. Tout serait plus simple si j’écrivais de façon linéaire mais non, j’opte pour une narration où les temps se télescopent et où la conjugaison, au présent et au passé, tient lieu de guide au lecteur.

En même temps, j’exerce mon nez, comme celui d’un parfumeur. Je fais circuler le lecteur dans des époques que ni lui ni moi n’avons connues (pour le 19ème siècle c’est plus que certain). J’aspire à restituer l’air du temps et la fragrance d’une époque. Je dors avec un cahier posé sur la table de nuit. S’il me vient une idée, je la note pour ne pas l’oublier. Il m’est arrivé de me réveiller en sueur en me disant : Ça sent le cuir, à propos du garage l’Auberge Froide, transformé en écurie d’un autre âge. Voilà en quoi s’est transformée cette impression olfactive : Il s’agissait bien d’un garage mais dans lequel on aurait garé des véhicules de musée, voitures à bras, calèches et traîneaux à neige, avec d’énormes outils pendus au mur : maillet, tenailles et d’autres dont j’ignorais l’usage. Je ne m’étonnai guère que ma bicyclette eût disparu. J’aperçus des harnais et des lanières. Au lieu de l’odeur d’essence, je respirais des effluves de litière et de cuir. Je ne rêve pas, fis-je à haute voix en espérant le contraire.

C’est peu dire que Elwig de l’Auberge Froide m’a hantée. Je me suis glissée tour à tour dans leur peau, ou ce sont eux qui ont pris possession de moi : Elwig, héroïne de cape et d’épée, Michel Leduc, médecin légiste qui fait des rêves prémonitoires, accro à C.G. Jung et à l’alcool, Gérald Mirouze, son jeune collègue, accro au travail et buveur d’eau, Franz/François, romantique à tous les temps…

Voilà un aperçu du comment. Vendredi je vous dis et, partant, vous emmène en voyage.

Cahier dédié à Elwig de l'Auberge Froide



Photo prise au cours de mon périple danubien 

jeudi 14 avril 2022

Deuxième ou second ? roman, s’ensuit.

 Un auteur qui publie après son premier livre se doit de saisir la différence entre deuxième et second. S’il parle de son second livre après en avoir sorti un troisième on peut douter de sa maîtrise des subtilités de la langue française. Mais au cas où le troisième bouquin serait encore dans les limbes, c’est que notre écrivain est franchement pessimiste ou bien réaliste, si on considère le parcours d’obstacles qui se dresse devant lui. Et je sais de quoi je parle.

Personnellement, j’ai radié le mot second de mon vocabulaire et, si vous me suivez sur ce blog, vous n’ignorez pas qu’en termes de création mon deuxième roman est en réalité le troisième. La publication est une autre paire de manche. J’arrête de vous embrouiller.

Donc nous en sommes à cette période de ma vie littéraire où Diabolo pacte est achevé mais pas encore publié et où je me cherche des moyens de me faire connaître. L’idée me vient de participer à des concours de nouvelles. La récompense financière est, à mes yeux, accessoire quoique je n’y cracherais pas dessus. Je lance donc deux ou trois poulains dans la course. J’avoue qu’aucun ne décrochera la timbale. Je n’aurai ni les sous ni la gloire. Je n’aurais certes pas craché sur la gloriole.

Un jour, je tombe sur l’annonce d’une localité de l’Est de la France (le Grand Est est encore dans les limbes) relative à l’ouverture d’un concours de nouvelles sur le thème de la bière. Voilà une épreuve juste faite pour moi, vu que j’avale autant de bière que mon clavier crache d’encre fictive. La bière, allemande de surcroit, fait partie de ma formation, vu que, comble de l’exotisme, j’ai fait des études d’allemand à Toulouse.

Je commence l’histoire d’un étudiant allemand qui voyage à vélo sur les routes de la Forêt-Noire et se voit contraint par l’orage de se réfugier dans l’Auberge Froide. C’est presque du vécu car, si je ne suis plus étudiante depuis des lustres, j’ai posé mon vélo contre le mur de l’Auberge Froide en revenant de Budapest. J’avais même bavardé avec des touristes espagnols dans la langue de Cervantès après avoir passé commande dans celle de Goethe.  Notons que l’Auberge Froide n’est pas un établissement qui date d’hier puisqu’au XVème siècle elle se dressait déjà sur les hauteurs. Donc notre étudiant se met au sec, vide sa chope quand l’orage fait sauter les plombs et que l’obscurité s’empare de la salle. Quand la lumière revient, notre étudiant s’aperçoit que l’entourage est déguisé à la mode du XIXème siècle. L’étudiant parle par ma plume :

Lorsque j’ouvris les paupières, que je regardai autour de moi, je crus qu’une troupe de comédiens avait envahi l’auberge. Outre la serveuse, tout le monde semblait sortir du folklore local. Plus personne n’était vêtu normalement. Absents l’instant d’avant,  quatre gosses jouaient par terre et fourrageaient régulièrement dans des tignasses infestées de vermine. Un miaulement, suivi d’un feulement furieux, me fit sursauter. Un garçonnet se tenait la joue, des larmes jaillissaient de ses yeux. Un grand chat s’éloignait avec majesté, faisant rouler ses muscles sous un pelage tigré. Comme il s’approchait de la cheminée, la fille d’auberge lui jeta le reste d’une chope à travers le museau. Le chat recula d’un bond puis la toisa littéralement du haut de ses quatre pattes.

   -- Walhalla, voyou, si tu n’étais pas la terreur des souris et des rats, il y a longtemps que je t’aurais mis dehors. Et toi, poursuivit-elle en faisant semblant de fouetter la face livide de l’enfant, qu’est-ce que tu avais besoin de l’embêter !

Soudain, un détail me troubla. L’électricité avait disparu, la salle était éclairée à la bougie. Un grand feu brûlait dans l’âtre. La chope devant moi n’était plus en verre mais en grès. Je m’empressai d’y tremper mes lèvres pour me rassurer. Je regardai mes bras, mes jambes et me sentis tout drôle : j’étais moi-même costumé à l’ancienne. La chemise de drap me grattait la peau au cou et aux épaules, le loden me tenait trop chaud, je portais une culotte qui s’arrêtait aux genoux et des brodequins de cuir. Et je n’avais pas souvenir de m’être changé. Je cherchai mes marques, au concret mes Marks, voire quelques francs. Je tâtonnai dans les poches de mon nouvel habit, éprouvai le contact du métal, tirai deux pièces à la lueur incertaine des chandelles. J’y voyais suffisamment clair pour reconnaître l’effigie d’un prince de jadis et l’année 1795 gravée dans l’argent en chiffres romains.

Très vite, le format de la nouvelle s’est révélé trop étroit pour l’histoire qui germait dans ma tête. Il va sans dire que je n’ai jamais concouru. Je mettais néanmoins le pied à l’étrier d’un cheval complètement cinglé dont je ne pouvais prévoir ni les ruades, ni les refus d’avancer, encore moins les départs au grand galop. J’ignorais que je l’enfourchais pour une chevauchée de six longues années. Y penser me donne soif. J’ai mérité une pinte de bonne bière. Et vous aussi qui avez bu jusqu’à la dernière ligne.

Kalte Herberge - Schwarz Wald
Auberge Froide - Forêt-Noire


Les livres aussi ont une peau

Passons de la nouvelle à la poésie, du réel ( Coup de grain ) au rêve ( Mon opium est dans mon cœur . Commençons par la peau, la couverture,...