Ce que j'écris, pourquoi, pour qui et les surprises de mon parcours littéraire

mercredi 23 novembre 2022

Un Tchèque chic et choc

Puisque le blog réclame sa pitance tel un dogue insatiable – c’est le dlog – autant varier les menus, ajouter une pincée d’exotisme à cet exercice écrit exclusivement en français.

Aujourd’hui le dlog aboiera en tchèque et la caravane des mots passera par Prague et Bratislava sous la houlette de Martin Daneš, auteur tchèque écrivant en français et en tchèque et aussi traducteur dans les deux sens.

J’ai connu Martin lors de la publication de mon premier roman, Diabolo pacte, aux éditions L’Arganier sises à Chatou. Depuis, hélas, elles ont disparu du paysage éditorial.

À l’époque Martin, qui avait publié plusieurs livres en Tchéquie, vivait à Paris, cherchait un éditeur pour ses écrits en français et avait approché L’Arganier, notamment Henri Girard, alors directeur de la collection Facéties. C’est à l’occasion d’une photo de groupe sur Facebook que nous sommes entrés en correspondance. En français car malgré mon séjour en université d’été à Brno je suis incapable de faire des phrases en tchèque. Je me suis souvenu de mes séjours à Prague du temps du Rideau de fer puis après la Révolution de velours. J’avais pu constater que le pont de Charles, désert lors de mon premier passage, s’était rempli de camelots. Mais l’eau de la Vlatava avait coulé et Martin était obsédé par la publication de ses écrits dans son pays d’accueil : la France.

Je pouvais le comprendre car les lettres de refus sont parfois à l’origine de pulsions suicidaires. J’étais passée par là et je suis intervenue en faveur de Martin. Mais le destin est facétieux et L’Arganier penchait déjà dangereusement vers la faillite. Mais j’ignorais cela à l’époque et c’est en toute innocence que je me rendis à Paris au salon des éditeurs du Quartier Latin dédicacer mon Diabolo pacte, le roman que tout candidat à la publication devrait lire car il est question de pacte avec le Diable dans le milieu de l’édition. J’ignore si Martin a ri, pleuré ou roupillé en me lisant mais, Diabolo en main, il est venu chercher sa dédicace. Je l’ai aperçu de loin. À Plus d’un mètre 90 on n’a guère de mal à culminer par-dessus les têtes des autres, ces autres n’ayant pas de surcroît une tête de slave.

Le temps a passé. Nous nous sommes revus lors de mes passages à Paris. Martin a réussi à publier 3 livres en français : Le char et le trolley chez Vents d’ailleurs et Les mots brisés aux éditions de la Différence. Et le dernier qui vient de paraître : Silence de vieux hiboux aux éditions Douro.

Les plus jeunes protagonistes de l’histoire ont 60 balais. On se glisse dans le corps décrépit et empêché du narrateur (83 ans), ancien journaliste tchèque qui vit à Paris et fréquente un autre exilé, Milan (le grand Kundera). En fait de Français, il a surtout commerce avec sa concierge portugaise, une jeunesse de 65 ans qui s’éprend du fantôme d’un illustre Slovaque, Gustáv Husák, qui fut président de la République tchécoslovaque de 1975 à 1989. On ne s’ennuie pas une seconde dans ce récit servi par des dialogues truffés d’humour qui nous fait revivre le Printemps de Prague et la Révolution de velours.

Un roman qui m’a fait retrouver la trace de mes périples à vélo, de Brastislava à la frontière hongroise. J’en suis ressortie avec une tête de Mickey, les taons ayant frappé fort en terrain allergique.

Même si vous n’avez jamais mis les pieds ni les roues dans les anciens pays de l’Est, Silence de vieux hiboux vous touchera par l’épaisseur des personnages et la tendresse que l’auteur leur porte tout en vous dévoilant l’histoire récente de ce petit pays, à présent scindé en deux : la Tchécoslovaquie.

Martin Daneš


vendredi 11 novembre 2022

La SF au temps du QR code

Chaque semaine le blog réclame sa pitance. Alors je fouille dans le garde-manger de mes expériences pour trouver quelque nourriture à même de calmer l’appétit de tous, y compris de ceux qui n’écrivent pas mais ont traversé comme tout le monde deux ans de restrictions covidistes : entre mars et mai 2020, 2 mois d’assignation à domicile avec une heure de sortie par jour autorisée sous condition de produire sous les yeux de la maréchaussée une auto-attestation écrite à l’encre, au bic mais pas au crayon papier. Puis des sorties au bout d’une laisse de 1 km, le masque en plein air, le pass sanitaire qui devient vaccinal à présenter aux vigiles et aux citoyens ordinaires, mastroquets, restaurateurs, organisateurs de salons, etc.

En ce qui me concerne, je n’ai rien produit, sauf des romans. Le confinement n’y est pour rien, ma première publication datant de 2009.

Pour moi deux ans sans covid, sans test, sans vaccin. Aurais-je obtenu une dispense à la vaccination et le pass qui va avec que je ne l’aurais présenté à personne si ce n’est à l’hôpital si la malchance avait voulu que je me brise un bras ou une jambe ou les 4 en même temps.

Car comment parler justice et liberté dans mes livres tout en me soumettant à des mesures ineptes dont le but avoué était de contraindre à une injection non-obligatoire ? Impossible à mes yeux.

Donc, j’ai été en retrait durant 3 ans après une brève éclaircie à l’automne 2019. Mon 3ème roman et 1er volet de ma saga de SF, Poussière de sable, est sorti juste au moment où ma mère est tombée malade. Je n’ai donc pu œuvrer à sa promotion. Juste au moment où je devais le présenter lors d’un dîner littéraire puis participer à une émission de radio, le 1er confinement a été décrété.

Début 2022, juste avant la parution du 2ème volet, Poussière de sable, Légendes ourdiniennes, et alors que mon éditeur m’avait adressé des services de presses, je me suis rendue à Blagnac dans l’immeuble qui héberge une salle de spectacle, la médiathèque et les locaux d’Altitude FM. Je me présente avec mon livre destiné à Jean-Pierre qui anime l’émission bien nommée « Paroles d’écrivain » et me heurte au vigile. Heureusement des personnes travaillant à la radio lui font remarquer que, venant à titre professionnel, j’ai le droit d’entrer. Jean-Pierre lit mes Légendes, me recontacte et rendez-vous est pris pour l’interview. Je prends le tram. Le hall d’Odyssud est vide, je me présente un peu à l’avance, discute avec Jean-Pierre qui me demande comment je suis passée. Car lui, Jean-Pierre, muni du pass et venant presque quotidiennement à la radio, s’est vu poursuivre par le vigile qui le voit pour ainsi dire tous les jours. Que de vocations sordides ce pass n’a-t-il suscitées !

Le roman paraît, paré d’une magnifique couverture (merci, RroyzZ éditions !) et, un bonheur ne venant jamais seul, je reçois début mars un message de l’association Les Arts Littéraires m’annonçant que je fais partie des lauréats dans la catégorie poésie pour mon recueil inédit Mon opium est dans mon cœur. La remise des prix se tient à Saint-Orens-de-Gameville le 26 mars. Mais, pour l’heure, le pass vaccinal n’est pas levé. J’envisage donc de me faire représenter avec un petit discours concocté à l’avance. Par bonheur, les élections approchent et je serai bien à Saint-Orens en chair et en os. Je ne boude pas cette distinction dont je suis d’autant plus fière que nos ouvrages sont strictement anonymes.

J’aurai l’occasion de faire connaissance de personnes fort sympathique, dont une future lectrice membre du jury de poésie et deux représentantes d’une maison d’édition mais ce détail débouche sur une autre histoire que je vous conterai plus tard.



 

 

jeudi 3 novembre 2022

Pour en finir avec l’autofiction – du moins sur ce blog

Pour en finir avec l’autofiction – du moins sur ce blog – je vais aborder le cas de ma mère qui, elle aussi, pensait que son histoire serait intéressante à lire. Elle parlait de son enfance, une enfance à la Dickens sur laquelle se projetait l’ombre d’une grande absente : la mère. Une enfance malheureuse à laquelle, moi, j’avais échappé. Ce n’était pas tant la deuxième guerre mondiale, l’Occupation où elle avait par périodes crevé de faim avec ses frères qui, à ses yeux, conférait à son enfance l’épithète de malheureuse qu’une histoire familiale compliquée. Et c’est un euphémisme.

Les instituteurs se liguèrent contre ces enfants, infoutus de se rendre compte que la petite fille savait lire à 5 ans et que son frère possédait un don inné pour la physique. Voir sur le blog Ecouter avant d'écrire.

Maman disait : « Je vois un titre : La petite Roques. » Quand on s’appelle Roques quoi de plus naturel ? Elle ignorait que le titre était déjà pris par un certain Guy de Maupassant sans s à la fin mais sa trace s’était sans doute imprimée dans sa mémoire inconsciente. Dans la nouvelle de ce conteur de génie, la petite Roque est une petite paysanne retrouvée violée et étranglée par le facteur du village. Les enquêteurs et le maire sont à la recherche de l’assassin. Je n’en dis pas plus au cas où vous ne connaîtriez pas encore le fin mot de l’histoire. Maupassant n’aurait certes pas dit spoiler mais serait d’accord pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Pour en revenir à ma mère et à l’an quarante, je trouvai, dès mon plus jeune âge, qu’il y avait en effet matière à tenir un auditoire en haleine. Je peux toujours supposer que ma mère aurait souhaité que je prenne la plume pour raconter ce qu’elle avait vécu. Paradoxalement, Maman n’était pas habitée par ma passion du passé et des archives. Je doute qu’elle se soit demandé comment avaient vécu ses ancêtres.

Quand, il y a quatre ans, son frère lui a annoncé un cancer du pancréas et qu’elle a voulu le faire enterrer dans le caveau de mes arrière-grands-parents (que j’ai connus) j’ai retrouvé parmi les occupants une trisaïeule partie de Miremont (31) avec son époux travailler à Paris (où mon arrière-grand-mère est née). C’est cette trisaïeule qui a transmis le plus ancien de mes souvenirs familiaux : la famine pendant la commune et la mise à mort du chien pour en faire un repas au goût infâme. Malheureusement la maladie puis le décès fulgurant de mon oncle a déclenché chez Maman le cancer du sang qui devait l’emporter au bout de 9 mois.

Maman partie, je n’ai pas eu le cœur d’écrire cette enfance qu’elle qualifiait de malheureuse, marquée par l’ombre une grande absente. Toutefois je me suis tournée vers les horizons familiaux de l’absente, riches d’une histoire romantique que je prévois d’écrire. J’ai commencé des recherches généalogiques et j’ai fini par tomber sur le pot aux roses. Que je ne vous dévoilerai pas. Parce que je suis romancière et que, pour un romancier, spoiler n’est pas jouer.

Maman sur les genoux de sa mère



lundi 24 octobre 2022

Ma grand-mère n’a jamais pris la plume

Je poursuis sur l’autofiction ou l’autobiographie, sur cette envie, ce besoin d’écrire pour que les autres lisent ce que nous avons vécu, subi, ressenti avec cette conviction que notre vie est exceptionnelle en évènements. Et ces évènements se doivent d’être malheureux car, c’est bien connu, et Aragon l’a chanté de merveilleuse façon : Les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Ce désir d’écrire sa vie, je l’ai rencontré, enfant, chez Nana, ma grand-mère maternelle, déformation de Nané dans ma bouche d’enfant, encore ignorante de l’œuvre de Zola. Or Nana était une femme en avance sur son temps, de mœurs plutôt libres. Elle avait passé son enfance dans un trou des Pyrénées, au sens littéral du terme : Saint-Béat, sur les bords d’une torrentueuse Garonne cernée de montagnes, dont la principale ressource provenait des carrières de marbre. L’hiver on devait s’y geler. Nana, devenue vieille, répétait qu’elle en avait soupé de la citrouille que les pauvres s’enquillaient à chaque repas. Qu’aurait-elle pensé d’Halloween ? Mais Nana n’était pas destinée à moisir sur le brouillard de Garonne et s’en retourna à Toulouse où le destin la dota d’un mari en route pour l’Espagne, un ancien pauvre se hissant à la force du poignet et des neurones, pour y bâtir, non des châteaux, mais des usines. Et le Naturalisme prit un virage picaresque.

Nana, quoique dotée d’une belle plume, ne grava jamais sa vie dans le marbre de Saint-Béat ni sur du papier brouillon. À moi, sa petite-fille préférée, d’écrire l’histoire sur fond de révolution industrielle.

Car l’intérêt pour moi, locomautrice du 21ème siècle, réside dans l’air du temps où se mêle au parfum capiteux des toilettes le panache des locomotives à vapeur s’ébrouant de Matabiau et la fumée des hauts-fourneaux.

Et puis c’est une façon de ressusciter nos chers disparus, ces fantômes qui cheminent à nos côtés et nous font digérer les cahots et autres nids de poule.





lundi 17 octobre 2022

Mon héroïne : surtout pas moi !

Annie Ernaux, associée maintes fois à l’autofiction, vient de recevoir le Nobel de littérature. Ce ne sera pas mon sujet (quant à mériter ou non un prix international) mais l’occasion fait la larronne (au diable la rime) et je saute dessus pour m’exprimer sur un sujet qui, de temps à autre, vient titiller mes neurones (revoilà la rime) – sans toutefois m’empêcher de dormir : parler de soi dans ses romans.

Mes goûts de lectrice me poussent davantage vers Milan Kundera, Michel Guenassia ou Claudio Magris sans oublier Victoria Hislop ou le Portugais Sarramago. En effet, j’ai besoin d’espace, de territoire et d’un souffle qui tourne les pages et me propulse loin de moi. Je me sens à l’étroit entre une cuisine et une chambre même si, avec du talent, on peut écrire un roman passionnant sans franchir la porte. Je préfère mettre mes mocassins hors des sentiers battus, humer des parfums étrangers, tendre l’oreille vers d’autres dialectes, bref j’aime voyager via le livre, quoique certains blablabus descendent parfois en dessous du prix unique du livre.

L’autre jour, une amie découvrait que j’avais vécu à Vienne et voyagé à vélo (jusqu’en Ukraine, ce qui, au regard de la tragique actualité, attise tout de suite l’intérêt).

Tu devrais écrire ta vie, m’a-t-elle suggéré.

Je dois avouer que ma vie ne m’intéresse pas, je me contente de la vivre, de prendre les évènements comme ils viennent, que cela me plaise ou non. Et certains évènements m’ont fortement déplu, et c’est un euphémisme !

Je voyage en écrivant : à travers l’Allemagne de mes études et de mes rêves, dans les espaces intersidéraux dans lesquels je crée des tunnels spatio-temporels, des planètes où s’épanouissent des civilisations sidérantes mais nous invitant à jeter un œil critique sur nos propres sociétés. Je m’attache à donner de l’épaisseur à mes personnages, même quand ce sont de grands oiseaux dotés de pouvoir psy.

Un jour, j’ai lu sous la plume de Pierre Bellemare, à peu près ces termes :

Quand on écrit on parle toujours de soi même quand on écrit sur une petite fourmi.

Prends-toi ça, Bernard Werber.

Alors que j’écrivais Diabolo pacte, mon premier roman (publié), je me disais souvent :

Antoine Maurier, c’est moi.

Pardon, Gustave, loin de moi la prétention de me prendre pour Flaubert.

Bientôt ce sera à nouveau d’actualité. Car le diable a plus d’un tour dans son sac.



samedi 8 octobre 2022

Blog cherche niche

 Alimenter un blog s’apparente parfois à nourrir un doberman : de la viande fraîche avec un peu de riz cuit. La difficulté n’est pas tant de rédiger un texte par semaine que d’écrire quelque chose qui intéresse tout le monde, que ce petit monde-là écrive, aspire à écrire ou lise tout simplement ou les trois à la fois. Mais, comme disait Jean de La Fontaine, on ne peut contenter tout le monde et son père. Or personne ne me talonne, pas de rédacteur en chef qui réclamerait à un Alphonse Allais en panne d’inspiration une nouvelle hilarante, lequel Alphonse Allais, acculé, ne s’était pas gêné pour signer un texte de Jules Renard. Donc je vais pomper à mon tour et vous parler de blogs.

Alors que j’aspirais au graal de la publication, écumais la toile en quête d’éditeurs et de tuyaux, voilà que je tombe sur 2 blogs à thème pouvant se résumer au parcours du combattant montant au casse-pipe éditorial.

Dolce évoque dans son blog (http://www.buzz-litteraire.com/2005120135-la-vie-revee-des-ecrivains-par-dolce/) ses espoirs, ses lettres de refus, son rendez-vous au salon du livre de Paris avec une romancière connue… C’est le grand-huit qui la propulse jusqu’au faîte de l’espoir pour la projeter dans les bas-fonds de la déception. Dolce s’expose et son blog fait le buzz. Ses lecteurs l’encouragent. J’ignore si Dolce a pu concrétiser son rêve de publication. Son blog a disparu du paysage. J’aimais le lire, y retrouvant mes états d’âme, moi qui œuvrais dans l’ombre et n’avouant que j’écrivais qu’à l’acceptation de Diabolo pacte par un éditeur parisien, après avoir essuyé le mitraillage de Poussière de sable à coups de lettres de refus.

Un deuxième blog faisait alors ma joie, nettement plus polémique que celui de Dolce, fidèle à son pseudo. Il y était question de wanabes injustement refoulés aux portes des maisons d’édition. Vous pouvez toujours frapper, on ne vous ouvrira pas, bande de tocards ! L’heure de la rentrée littéraire sonne. Et notre blogueuse d’étriper la presse qui parle de Musso, Lévy, Nothomb et peu d’autres. Et les wanabes ? s’insurge-t-elle. Les wanabes n’ayant rien publié, la presse ne peut avoir lu leur œuvre et en parler. Notre blogueuse, contrairement à Dolce, a frôlé l’exploit de la publication par une maison germanopratine. L’éditeur s’étant rétracté, elle enrage et incendie le milieu. Travail salutaire car elle finit par compatir avec les auteurs publiés par de modestes maisons et qui vendent peu d’exemplaires. Finalement notre blogueuse s’estime heureuse de ne pas avoir été éditée à si mauvais compte.

Pour en revenir au mien, de blog, je ne peux qu’espérer qu’il trouve sa niche : lecteurs, écriveurs, éditeurs, à chacun ses maux et à tous mes mots.



 


lundi 26 septembre 2022

Écouter avant d’écrire

L’art du roman, c’est celui de raconter des histoires et de donner une âme à des personnages, au point qu’ils prennent vie dans l’imagination des lecteurs. Au bout de quelques lignes, les marionnettes que l’auteur agite coupent le cordon ombilical qui les relie à l’auteur. Dans l’immense cohorte des personnages de romans, de rares élus accèdent au statut d’archétype : Emma, Sherlock, Rastignac et les autres.

Mais je ne suis pas venue ici pour enfoncer des portes ouvertes. Je ménage mon épaule, à défaut de mes méninges.

Donc, j’écris des romans parce que j’aime raconter des histoires que, le plus souvent, j’invente. En effet, il y a peu de chances que je sois tombée sur une abominable pieuvre des sables ou un euskalien de plumes et de lumière.

Je prends toutefois le risque de me démettre l’autre épaule : si on aime raconter des histoires, c’est qu’on aime en écouter. De la même manière qu’un écrivain a été et est un lecteur boulimique.

Donc l’époque où j’aimais entendre des histoires remonte à très loin, en ces temps de l’enfance sans smartphone et sans télé ou du moins l’éteignait-on quand un visiteur était là. Les enfants ne monopolisaient pas les conversations, réduits à écouter les adultes ou à jouer sous la table. La réduction m’allait très bien car j’étais toute ouïe dès que les grandes personnes racontaient leurs histoires.

L’un des frères de ma mère déboulait souvent en pleine nuit d’on ne savait d’où en apportant une bourriche d’huîtres. Un type de sac et de corde, disait mon père. Toutefois doublé d’un bourreau des cœurs qui allait de ville en ville.

La meilleure fut le non-mariage de mon parrain, frère aussi de ma mère qui racontait que, petit, il cassait tous les jouets pour voir ce qu’il y avait dedans. N’ayant pas le certificat d’études, il fut refoulé d’une école technique et eut une vocation que son physique et sa souplesse lui permirent de réaliser: la danse qu’il apprenait à Paris. Mais c’est à Toulouse qu’il s’enticha d’une femme qui le rendait malheureux. Si accro qu’il voulut l’épouser mais ses copains veillaient qui le jetèrent, fin saoul, dans le train de nuit pour Paris. Je vous laisse imaginer la tête des familles et des invités devant la mairie. Comme me l’a dit un jour son jeune frère :

On voit ça dans les films mais chez nous ça arrive.

Je suis sûre que vous aussi vous en avez de belles à raconter.

Suite et fin de l’histoire : une carrière de danseur, c’est court. Mon parrain finit par se marier à Montréal. Il changea de métier. Là-bas, on ne lui demanda pas s’il avait des diplômes. Il leur suffit de constater qu’il maîtrisait l’électricité et l’électronique sans avoir jamais appris.

Quant à ma marraine, elle savait réparer les bagnoles. Comme quoi, ni l’un ni l’autre ne m’ont soufflé dessus.

J’aimais aussi entendre les discussions entre Maman et la seule copine qu’elle eût dans sa vie adulte. Deux formules qui me mettaient particulièrement en joie :

On est marron.

J’en ai un plein chapeau.

Parfois, je laisse traîner dans mes dialogues des expressions glanées ici ou là.

J’aimais écouter, j’ai écouté mais il y a une chose que je regrette, c’est de pas avoir posé de questions. Parce que je n’y ai pas pensé, parce que j’étais adolescente et tourmentée par d’autres questions. À présent que plus personne n’est là pour me répondre je n’ai d’autre issue que d’imaginer, romancer…

Mon parrain avec ma mère, Marraine et filleule


L’écriture, un effeuillage mental ?

Drôle d’émotion qui m’étreint à la veille de la parution du recueil de mes poèmes de jeunesse, Mon opium est dans mon cœur. Pour une fois, j...